dimanche 12 janvier 2025

Homélie du dimanche 12 janvier 2025 – Baptême du Seigneur – Année C

 Frères et sœurs, la scène du Baptême de Jésus, telle que Luc nous la raconte, renferme plusieurs pistes pour notre méditation. Elle nous inspire tout d’abord l’attitude de l’attente, propre à l’homme de foi qui scrute les préparations mystérieuses que Dieu opère dans les cœurs. Elle nous dévoile aussi l’identité profonde du Sauveur qui vient à nous inlassablement et nous invite à le contempler dans la Trinité. Enfin, elle nous exhorte à devenir nous-mêmes messagers de la Bonne Nouvelle, selon la prophétie d’Isaïe et à l’exemple des grandes figures de Jean-Baptiste et de saint Paul…

Tous les personnages de l’évangile d’aujourd’hui ont vécu une forme d’attente, une période longue dans leur existence qui précède leur contribution active à l’histoire sainte ; période qui ne fut pas passive, mais plutôt habitée… pour une préparation de tout leur être. Jean-Baptiste n’apparaît sur la scène religieuse qu’après de longues années d’ascèse ; la foule incarne la longue attente pluriséculaire du peuple  d’Israël ; Jésus lui-même s’est enfoui dans l’épaisseur du quotidien à Nazareth.

Considérons les foules, tout d’abord : « Le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était dans l’attente. » (Lc 3, 15) Les cœurs étaient tendus vers un événement dont ils ne connaissaient pas la nature précise. C’est là le fruit du travail de l’Esprit en Israël pour préparer la venue du Messie. Cette attitude est très belle et démontre une foi profonde : ouvrir son cœur à ce qui va venir, l’accueillir par avance sans savoir de quoi il s’agira, en acceptant que Dieu conduise toute chose selon son bon plaisir, pour sa Gloire et pour notre épanouissement. Mais l’Esprit adopte toujours des chemins concrets : pour le peuple, cette attente s’est traduite par l’accueil du baptême de pénitence donné par Jean et par une conversion du cœur…

Jean-Baptiste a également vécu un temps d’attente et de préparation, en vue de la révélation du Messie. En réalité, toute sa vie jusque-là n’a été qu’une longue préparation : « Il alla vivre au désert jusqu’au jour où il se fit connaître à Israël » (Lc 1, 80), nous dit Luc après le récit de sa naissance… Puis, lors de son ministère publique, Jean se rend au Jourdain où il baptise, en attendant la manifestation de celui qu’il ne connaît pas encore et le signe que Dieu voudra bien lui donner pour le reconnaître.

Jésus, enfin, vécut lui aussi une attente similaire : depuis l’épisode du Recouvrement au Temple, il entra dans le silence de la vie ordinaire et y demeura une vingtaine d’années. Luc nous le décrit brièvement : « Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » (Lc 2, 52). Le Fils de Dieu lui-même, lorsqu’il vient dans le monde, se prépare longuement à sa mission.

C’est un grand enseignement pour nous, à une époque où l’impatience est de mise et où les temps de préparation, de mûrissement, sont souvent considérés comme du temps perdu.

Mais rien de grand ne peut se faire sans une lente préparation, sans offrir à l’Esprit de Dieu un espace où il puisse former l’homme dans le secret, façonner son cœur et le préparer pour accueillir sa révélation et accomplir la mission qui sera la sienne…

Tout ce qui se fait de grand a besoin de préparation, et le Seigneur dispose sagement les temps et les lieux nécessaires pour forger ses ouvriers. C’est le rôle des années de séminaire pour les prêtres, du temps des fiançailles pour les couples, des mois de gestation pour les parents. C’est aussi le sens des épreuves cachées que traversent tant de personnes, avec ces vicissitudes que les saints vivent souvent avec une acuité particulière, comme s’ils étaient émondés avant de porter du fruit…

Acceptons-nous comme Jean-Baptiste d’être longuement préparés en vue d’une mission qui n’est pas encore claire ? Avons-nous comme Jésus la patience et l’humilité nécessaires pour supporter les temps ordinaires, les temps morts, les temps d’épreuves, où nous nous sentons peu utiles au Royaume et ne voyons pas clairement le sens de nos actions ? C’est pourtant ainsi que Dieu travaille notre cœur ; s’il le fait, c’est en vue d’une mission et d’un rayonnement. Prenons-nous, chaque jour, le temps nécessaire à la prière pour que Dieu fasse de nous des serviteurs selon son cœur ?

Cette manifestation progressive du Christ à Israël nous permet d’avancer dans la connaissance du Sauveur… Jean Baptiste lui-même nous livre un aspect de cette révélation ; le Sauveur qui vient n’est pas un prophète ordinaire, il est infiniment plus grand que lui : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. » (Lc 3, 16). Déchausser le maître était dans l’Antiquité le rôle de l’esclave, mais voici que Jean ne se considère même pas digne d’être l’esclave de celui qui vient.

« Moi, je vous baptise avec de l’eau […]. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » (v. 16) Jean proposait un baptême de pénitence déjà supérieur aux simples rites de purification extérieure de l’époque, mais ce baptême ne permettait pas d’effacer les péchés. Celui qui vient va non seulement ôter le péché du monde, comme le dit saint Jean en commentant le même épisode (cf. Jn 1), mais il va aussi plonger l’homme dans son propre Esprit et dans le feu, lui donnant de pouvoir vivre de la vie même de Dieu et de résister au péché. Il va brûler le cœur de l’homme au feu de son propre cœur et lui donner de pouvoir aimer comme lui. Approchons-nous toujours un peu plus de ce grand mystère pour le faire nôtre…

Au début de sa vie publique, le Fils de Dieu rejoint de suite l’homme dans son propre péché : au Jourdain, où Jean a convoqué le peuple pour le baptême. Mais le Seigneur lui offre plus que sa clémence. En prenant sa place dans la file des hommes pécheurs et pénitents, il se « fait péché pour nous » (2 Co 5) et révèle la miséricorde de Dieu qui atteindra son sommet à la Croix, amour fou de Dieu qui va jusqu’à mourir pour libérer sa créature du péché et de la mort.

… La venue de Dieu n’est pas d’abord une révélation de puissance, ou un jugement porté sur les nations et les croyants égarés, elle est surtout Bonne Nouvelle, consolation et joie… Quand Dieu se manifeste à l’homme, c’est pour lui déclarer son amour et sa tendresse…

 

Voilà qui interroge notre propre attitude. Lorsque je prie, participe à la messe ou reçois le sacrement du pardon, est-ce bien tout cela que j’ai en tête ? Est-ce que je rends un culte à un Dieu lointain et terrible, inaccessible dans sa transcendance ? Ou est-ce que j’accueille avec joie celui qui, dans son amour infini, veut changer mon cœur pour le rendre semblable au sien, brûlant d’amour pour lui et pour les hommes ? Nous pouvons prendre cette semaine le temps de remercier et de louer le Seigneur pour cette manifestation du Fils de Dieu, si grand que Jean ne peut dénouer la courroie de ses sandales, si humble qu’il prend sa place parmi les pécheurs, si fou d’amour pour nous qu’il prend notre condition et nous plonge dans l’Esprit Saint et le feu pour nous rendre semblables à lui.

L’autre grande révélation de cet évangile vient, après Jean-Baptiste, directement du Ciel. Le baptême de Jésus est le premier épisode évangélique où la nature divine de Jésus et la réalité de la vie trinitaire sont manifestées extérieurement : non pas à tous, mais seulement à Jean-Baptiste, témoin d’une vision, que ses disciples n’ont pleinement comprise que plus tard. Alors que Jésus prie – la mention n’est pas anodine –, sa relation avec Dieu son Père est intime et totale : une communion d’amour qui prend l’apparence d’un être vivant, une colombe symbolisant l’Esprit Saint. Le Père fait entendre sa voix en s’adressant directement à Jésus : « Tu es mon Fils bien-aimé, en Toi je trouve ma joie ! » (Lc 3, 22) Dieu est communion d’amour qui vient s’ouvrir à l’homme. Pour la première fois, le Ciel s’ouvre et rend visible aux hommes la vie intime de Dieu, accomplissant la prophétie d’Isaïe qui exprimait le désir d’Israël : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais… (Is 63,19)…

 

La liturgie de ce dimanche nous invite aussi à une profonde contemplation. Celui que Jean baptise dans le Jourdain n’est pas un simple prophète, il vient de Dieu et partage sa vie. Il choisit pourtant une voie d’humilité totale, « ne revendiquant pas le rang qui l’égalait à Dieu », écrira Paul dans la lettre aux Philippiens (2, 6), selon une logique qui nous est totalement étrangère. Après cet épisode, Jésus se fond à nouveau dans la foule, puis se retire au désert : c’est peu à peu qu’il révèlera le mystère de son union à Dieu, rendu momentanément visible lors du Baptême.

Nous sommes familiers de Jésus qui enseigne et guérit ; essayons également de nous accoutumer à Jésus qui prie et contemplons-le lorsqu’il ne fait plus qu’un avec son Père, dans l’Esprit, et durant ses longues années de vie cachée. Contemplons avec émerveillement cette réalité de la vie trinitaire, cet amour qui lie les Personnes divines et s’ouvre à nous pour nous accueillir en son sein.

Cette grande nouvelle de Dieu-Amour fait homme en Jésus-Christ, révélé au Jourdain, n’est pas un secret à garder pour soi. C’est une nouvelle à partager. Jean-Baptiste l’a compris qui proclame : « Voici l’Agneau de Dieu… » et pousse ses disciples à suivre désormais Jésus (cf. Jn 1)

Frères et sœurs, comment évangélisons-nous ? Avons-nous à cœur d’être les précurseurs du Seigneur comme Jean-Baptiste ? Deux modèles d’évangélisateurs nous sont proposés ce dimanche : le Précurseur et saint Paul. Jean-Baptiste est un ascète, c’est un homme qui s’est retiré pour entendre la parole de Dieu et lui faire toute la place avant de débuter sa mission. C’est grâce à cela qu’il peut reconnaître Jésus et recevoir cette vision trinitaire dont il témoigne. Jean-Baptiste est aussi celui qui s’efface, ne tire aucune gloire de la mission confiée, reconnaît sa petitesse radicale.

Lorsqu’il doit se définir, après avoir attesté n’être ni le Messie ni Élie ni le grand prophète, il dit simplement : « Je suis la voix qui crie dans le désert. » (Jn 1)…

Et nous, quelle sorte de messagers sommes-nous ? Savons-nous prendre le temps de la prière pour écouter avant d’agir, pour être un instrument et nous laisser mener sous la conduite du Seigneur ? Savons-nous n’être qu’une voix, nous effacer devant l’action puissante du Seigneur ?...

L’autre exemple de ce dimanche est celui de Paul qui a vécu profondément cette expérience d’effacement et d’annonce de l’Évangile : dans sa Lettre à Tite, il ressemble à Jean-Baptiste, en témoignant du Christ. Son discours ne parle plus de lui-même, mais du Christ et de son action en nous.

Frères et sœurs, se centrer sur le mystère du Christ, le contempler dans sa profondeur, voilà notre vocation profonde. Plongeons, par la prière, dans le mystère de Jésus, aujourd’hui engendré ! Voici le message le plus urgent pour l’humanité : l’humanité n’est pas orpheline, elle n’est pas le fruit du « hasard ou de la nécessité »… en Jésus, elle naît d’un Dieu qui l’aime. Telle est la signification de notre baptême. Nous naissons de Dieu !                                                                            Amen.