Frères et Sœurs, au fur et à mesure que nous avançons en ces semaines pascales, nous nous émerveillons toujours un peu plus de cet immense amour de Dieu pour nous. Et ce 6e dimanche pascal nous ramène à l’essentiel en nous rappelant le commandement « capital » de l’amour…
Un commandement se situe toujours entre un mal moral, dont il veut nous éloigner, et une vertu, qu’il veut susciter en nos cœurs. Posons nous 3 questions ce matin !
Comment vivre cet amour que Jésus nous offre ?
Quels sont nos manquements à l’amour ?
Et
quels sont les fruits de l’amour dans notre vie ?
Comme ce fut le cas pour les disciples, la contemplation du
Crucifié nous porte spontanément à imiter Jésus. Bien plus, la foi qui jaillit de notre regard vers le
Crucifié nous permet de recevoir l’amour surnaturel – la charité – qui est
le don suprême.
Alors comment vivre cet amour que Jésus
nous offre ? En contemplant l’amour de Jésus pour nous ! Contemplons l’amour de Jésus pour les
disciples encore préoccupés d’eux mêmes, plein de doutes, d’orgueil, qui
comprennent si tard quel est celui qui les a appelés et lui font défaut à
l’heure décisive ; Contemplons l’amour
de Jésus pour les pauvres accablés de douleur à la recherche d’un salut
physique avant tout ; Contemplons
l’amour de Jésus pour les pécheurs si éloignés de la pureté de son cœur ; Contemplons l’amour de Jésus pour ses
ennemis qui lui tendaient des pièges et ses bourreaux qui l’ont fait périr…
Pour les disciples de
l’Église primitive, cette parole du Maître : « Aimez vous les uns les autres, comme je vous ai aimés », était
chargée de toute l’émotion de la Passion encore récente.
Pour être saisi par ce mystère, nous devons écouter le Cœur du Christ nous révéler son amour pour les
hommes, comme les disciples au Cénacle. Jésus veut révéler à ses amis la
fournaise ardente qui le brûle de l’intérieur, et répandre ce feu dans nos
cœurs. Un auteur spirituel du XXe siècle, Gaston Courtois, l’exprime magnifiquement
dans une prière dans laquelle il fait parler le Christ lui-même :
Travaille par ton exemple, par ta parole, par tes
écrits à mettre de plus en plus de charité dans le cœur des hommes. Il faut
continuellement prendre cela comme objectif de tes prières, de tes sacrifices,
de tes activités. J’attends le monde… J’attends le monde pour le
guérir, pour le purifier, pour le déterger et rétablir en lui la vraie notion
des valeurs… Mais il me faut des aides et c’est pourquoi J’ai besoin de toi… J’ai besoin de contemplatifs qui unissent leurs
appels à ma prière pour obtenir les missionnaires et les éducateurs spirituels
dont le monde a soif inconsciemment… J’attends
que le monde accepte de me rejoindre,… qu’il unisse les souffrances
inséparables de sa condition humaine à celles que J’ai endurées en son nom
pendant mon séjour terrestre et surtout pendant ma Passion. J’attends qu’il
unisse sa prière à la mienne, son amour à mon Amour. J’attends le monde.
Puissions nous, frères et sœurs, faire connaître,
patiemment et humblement, chacun à notre mesure, l’immense fournaise qu’est l’amour de Jésus pour les hommes !
L’amour de Jésus pour nous est souvent bien différent de
celui que nous lui rendons et dont nous aimons les autres. C’est pourquoi il
est important de se souvenir que le
commandement de Jésus n’est pas simplement d’aimer mais d’aimer comme lui. Car seul Dieu sait aimer et peut donner la
mesure du véritable amour. Il est particulièrement important de s’en souvenir
avec humilité à notre époque où le concept d’amour est utilisé abusivement pour
signifier toutes sortes d’attachements. Dans le couple, dans les relations
filiales, on parle d’amour dès qu’il y a attraction et volonté d’accaparement.
On croit aimer car on ne peut pas se passer d’une présence
pour ce quelle comble de vide et de besoins primaires en nous. On dit aimer les
autres lorsqu’on les trouve sympathiques, que leur présence nous divertit, nous
flatte ou nous est utile. En réalité, nous ne savons pas aimer par nous-mêmes,
nous devons l’apprendre d’un autre…, de Dieu !
Jésus nous dit ce qu’est l’amour en une phrase
: donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Dans le texte grec, il s’agit même de donner son âme, son
être profond. À première vue, nous pourrions croire que cela ne nous concerne
pas et s’applique seulement à Lui, Jésus, qui est mort pour nous. De temps à
autre, l’actualité nous rappelle que ce choix peut brutalement se présenter
dans une vie ordinaire et nous voyons des hommes et des femmes mourir
concrètement pour d’autres. Mais pour nous ? Donner sa vie est pourtant l’appel
de tous, chaque jour. On prête à saint Vincent de Paul la phrase suivante : « La
charité, cela doit faire mal ». C’est, en effet, lorsque nous renonçons
à quelque chose de nous-mêmes que nous commençons à aimer. Aussi
pouvons nous interroger notre capacité à donner du temps, de l’argent, mais
surtout de l’attention, non pas seulement à ceux que nous avons choisis mais à
ceux que Dieu met sur notre route comme le blessé du bon samaritain.
Comment nous comportons nous vis-à-vis de notre conjoint,
de nos proches, des membres de notre communauté ou de nos collègues, et des
inconnus qui traversent nos journées, lorsqu’ils prennent sur notre fatigue,
nous sollicitent sans cesse, nous agacent ou nous déçoivent ? À quoi
sommes nous prêts à renoncer, parfois définitivement et douloureusement, pour
leur bien ? Quelle est notre capacité à les accueillir avec amour, à les écouter,
les estimer et les aider sincèrement fraternellement et sans jugement ? Sommes nous
sincères, profonds dans nos échanges, avons-nous le souci du bien et du salut
de l’autre ? Soyons honnêtes: nous essayons tous sincèrement de pratiquer l’amour
du prochain, mais il s’agit trop souvent d’une « pratique », d’un effort
personnel pour nous conformer à ce que notre conscience nous demande.
Dans quelle mesure
l’amour fraternel jaillit il du fond de notre cœur parce que c’est le Christ,
présent dans notre âme et la vivifiant de l’intérieur, qui aime notre prochain
en nous ? Laissons nous l’Esprit Saint prendre possession de tout notre
être (nos sentiments, nos pensées, nos défauts mêmes) pour que ce soit Dieu
même qui porte ce fruit si précieux qu’est la charité fraternelle ? La deuxième
lecture nous montre cette œuvre en saint Pierre quand l’Esprit l’amène à aimer
pleinement un centurion païen et toute sa famille, malgré toutes les barrières
qui les séparaient. Les saints sont pour
nous des compagnons utiles car ils vivent ce mystère de l’amour fraternel dans
des situations concrètes et proches de nous.
Or, que se passe-t-il lorsque nous ne vivons plus le commandement de
l’amour ? Notre cœur tombe peu à peu dans les illusions de ce monde
trompeur, il s’attache à des biens passagers, et va à la dérive loin de son
Seigneur. De consolations superficielles en consolations égoïstes, le chemin
peut mener jusqu’à une complète anémie
spirituelle, et la ruine intérieure se révèle trop tard, à l’occasion d’une
de ces difficultés ordinaires que la vie nous présente.
En nous offrant le commandement de
l’amour, Jésus nous invite à méditer sur cette dynamique du péché qui menace
notre cœur, en vue de mieux saisir la valeur du don de Dieu. Le Christ est venu nous insérer dans son
amour personnel pour le Père, voilà la boussole qui guide toute notre vie.
Le pape Grégoire le Grand, si lucide en la
matière, nous invite à analyser avec finesse l’action du Malin :
« Le
démon commence par exciter contre nous un prochain moins favorisé qui s’efforce
de nous enlever ces biens même auquel nous sommes attachés. Ce n’est pas que le
démon soit soucieux de nous privés de ces bien de la terre, pour lui, c’est
seulement le prétexte pour nous faire perdre un bien plus grand, il veut blesser la charité en nous… En
cherchant à conserver des biens extérieurs, nous en perdons de bien plus grands
à l’intérieur, puisqu’en accordant trop d’importance à un bien périssable, nous
perdons l’amour véritable… Ainsi quand notre prochain nous fait souffrir en
nous privant de biens extérieurs, soyons sur nos gardes au-dedans de nous
contre le voleur caché : on ne peut mieux le vaincre qu’en aimant le voleur du
dehors. La première et suprême preuve de
la charité, c’est d’aimer même celui qui s’oppose à nous. C‘est pourquoi la
Vérité en personne, tout en endurant le supplice de la croix, ne cesse de
répandre la tendresse de son amour sur ses persécuteurs, en disant : « Père,
pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34)
Voilà frères et sœurs un signe infaillible de la véritable charité : l’universalité. Souvent, une barrière me sépare de tel ou tel personne, je pratique bien la charité envers tous mais à l'exception de cette personne insupportable ; reconnaître ce manquement devrait me permettre de découvrir mon manque de charité surnaturelle… Notre vie chrétienne est dominée par une loi étrange : plus la charité grandit en nous par l'action de l'Esprit Saint, et plus nous prenons conscience de notre manque de charité ; plus les blessures à la charité nous scandalisent ; plus nous ressentons la misère de notre cœur… Il ne nous reste qu'à supplier le Christ, qui nous accompagne sur ce chemin d'humilité : Il ne veut pas nous noyer dans notre néant, mais simplement établir en nous la véritable charité, qui exige ce travail de purification assez douloureux, mais qui produit du fruit, un fruit « qui demeure en vie éternelle ».
Si nous vivons cette réalité de la charité fraternelle gratuitement, comme un don reçu sans mérite et offert sans égoïsme, alors nous pouvons « porter du fruit ». Voici ce que nous dit le pape François à ce sujet : « En réalité, ce fait de vivre et de demeurer dans le Christ marque tout ce que nous sommes et faisons. C‘est précisément cette « vie en Christ » qui garantit notre efficacité apostolique, la fécondité de notre service… ce qui assure le fruit, c’est le fait d’être fidèles à Jésus, qui nous dit avec insistance : « Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4). Et nous savons bien ce que cela signifie : le contempler, l’adorer, l’embrasser dans notre rencontre quotidienne avec lui dans l’Eucharistie, dans notre vie de prière, dans nos moments d’adoration ; et aussi le reconnaître présent et l’embrasser dans les personnes les plus nécessiteuses. Le fait de demeurer avec le Christ ne signifie pas s’isoler, mais c’est demeurer pour aller à la rencontre des autres. »
Frères et sœurs, lorsque nous contemplons ce mystère d’amour et de fécondité dans le Christ, nous ne pouvons que désirer y grandir ; mais c’est bien au-delà de nos forces. Il nous faut donc supplier humblement, frapper à la porte de la Miséricorde divine sans nous lasser car le Seigneur ne se lasse jamais de nous faire du bien…. AMEN.