Silence de retrait. Mais Joseph pouvait-il
ajouter un mot de plus à la réalité du mystère qui avait commencer de s’accomplir
sous ses yeux :
• l’engendrement de Jésus par l’action de
l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge,
• la maternité virginale de Marie,
• la nativité du Fils de Dieu, dont il
devenait le père putatif.
• l’incarnation de Dieu sous les traits d’un
nourrisson…
Tout cela le laissent sans voix, le plongeant dans l’abime silencieux de
l’adoration. C’est au Verbe
de Dieu (qui devenait son fils adoptif)
qu’il revenait de s’exprimer, quand il voudrait et comme il voudrait.
Le silence est une
injonction divine, dont on trouve la trace dans toute l’Écriture, tout au
long de l’histoire du salut : « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille
au seuil de ma bouche » prévient le psalmiste (Ps 141) « Qui garde sa bouche,
garde sa vie », conseille le livre des Proverbes (Pr 13,3).
« Shéma Israël », écoute Israël, dit le Seigneur, exigeant de son peuple de clore ses lèvres pour mieux ouvrir ses
oreilles. Ainsi le silence de Joseph s’inscrit dans une longue tradition de sagesse et d’intériorité. Il fait mémoire de cet appel constant du Seigneur à entendre sa
Parole, à accueillir sa présence sans restriction et sans arrière pensée.
Joseph se montre le
digne successeur de son ancêtre Salomon qui réclama du Seigneur qui voulait
le gratifier de ses bienfaits, de recevoir, non pas la richesse, ni même le
pouvoir, mais de lui accorder seulement « la
grâce d’un cœur qui écoute ». Joseph se disposera en creux pour recueillir
dans son silence, les appels mystérieux de Dieu. Le silence sera la patrie de son obéissance, de son adhésion plénière
aux desseins du Seigneur.
Que l’ange lui enjoigne de prendre chez
lui Marie, alors qu’il avait résolu de la répudier, pour la protéger du
déshonneur ; que le Seigneur l’avertisse en songe de partir avec les siens en Égypte
ou d’en revenir… ; en tout, Joseph
obéit. Il s’exécute. Le silence
l’éduquera à la docilité aux imprévus, car la contingence est le domaine de
l’Esprit Saint. Dieu parle par des portes qui s’ouvrent, mais souvent aussi, par
des portes qui se ferment, en déjouant nos attentes et nos pronostics. Mais en
toute vérité, Joseph parle. Il parle
non pas par des mots, mais des gestes. Le
silence est l’écrin de son action, et son mutisme fait encore mieux
ressortir la dignité et la profondeur des actes qu’il pose.
Les stylites ne sont pas saints pour avoir vécu sur une
colonne ; Jeanne d’Arc ne fut pas canonisée pour avoir, avec ses soldats,
délivré la France, ni Bernadette, pour avoir vu la Vierge Marie à Lourdes ; Thérèse
de Lisieux ne fut pas déclarée docteur de l’Église parce qu’elle était entrée
au carmel à 15 ans.
L’existence
la plus héroïque ou la plus méritante ne fait pas la sainteté. L’Église
reconnaît la sainteté de ses enfants, non pas leurs performances spirituelles,
leur mortification, leurs vertus morales ou leur dévouement, mais parce qu’ils ont accompli à la perfection
la volonté du Seigneur dans leur cadre de vie.
On dit parfois que les saints sont plus admirables
qu’imitables. Ce n’est pas toujours vrai et tout particulièrement pour Marie et Joseph car ils ne sont pas saints
pour avoir fait des choses extraordinaires, mais pour avoir accompli
humblement, fidèlement et avec une parfaite charité, la volonté du Seigneur là
où ils se trouvaient. Leur sainteté est
sans éclat. Ils se sont sanctifiés dans la vie ordinaire à Nazareth et au
contact de leur enfant. Oui, plus un
saint est proche du Seigneur, et plus il rayonne sur le monde. Et nul n’a
été aussi proche du Verbe Incarné, que Marie, sa mère, et que Joseph, son père nourricier.
Joseph se sanctifie
au quotidien par le quotidien, par le service concret et attentif de Marie et
de l’enfant Jésus. Il engage et mobilise toutes ses énergies dans cette
tâche : son corps, par son travail, ses sentiments, dans l’affection qu’il
porte aux siens, son intelligence pour agir prudemment, sa prière fervente pour
découvrir et accomplir la volonté de Dieu...
Mais le silence de
Joseph porte aussi des stigmates. Celle des combats et des arrachements
auxquels sa foi a dû consentir. Croire,
c’est être capable de porter ses doutes. Il faut toujours distinguer le
fait de douter « de » Dieu et le fait de douter « en » Dieu, c’est-à-dire
éprouver à la pointe de la foi, la
déception de la non évidence, éprouver que Dieu n’est jamais autant Dieu
que lorsqu’il me manque, suscitant au-dedans de soi le désir de le chercher
encore, à tâtons, dans la nuit.
Le silence de Joseph protège Jésus du monde.
Il est le garant de sa vie cachée. En Joseph, « le Seigneur a trouvé un homme à qui confier le secret le plus sacré
de son cœur » dira Saint Bernard. Jésus
demeure à l’ombre du silence de Joseph. Il
s’y recueille. Il s’y repose…
Le
silence est la patrie de Joseph. Elle enveloppe sa prière qui se fait
contemplation chaste et amoureuse de Marie, en qui Dieu fait ses délices, et
dont la beauté intérieure et immaculée l’invite, jour après jour, à devenir
digne d’elle. Sa prière se fait
adoration pour s’émerveiller à Bethléem, avec les bergers et les mages, de
l’avènement du Messie Sauveur dans la vulnérabilité d’un bébé qui babille ; Sa prière se fait « louange » pour
s’étonner à Jérusalem, auprès des docteurs de la Loi, de la sagesse de
Jésus adolescent qui est déjà « aux affaires de son Père ».
C’est à partir du silence que Joseph cherche Dieu,
qu’il le trouve en Jésus, qu’il se réjouit de la
présence sous son toit, du Fils de Dieu devenu son enfant.
« Pour apprendre Dieu, disait Jean de
la Croix, l’esprit doit plutôt renoncer à ses lumières, que de chercher à s’en
servir ». Ce jeûne de paroles que
Joseph s’impose, est pour nous une leçon de vie. Le silence a tellement de choses à nous dire, dans notre monde bavard et bruyant. Et comme le conseil un proverbe
touareg plein de bon sens : « Si le mot que tu vas prononcer n’est pas plus
beau que le silence que tu vas quitter, alors tais-toi ! », c’est ce que je
vais devoir faire dans un instant.
Frères et sœurs, le silence est plus qu’une abstinence de
paroles, c’est une densité de présence,
une plénitude d’amour qui rassasie l’âme. Le silence est l’habitude de Dieu, la
langue de l’Esprit Saint. Alors, sur les traces de saint Joseph, c’est là
que le Seigneur nous fixe rendez-vous dans la prière de l’oraison !
Amen.