Au cours de ce temps de l’Avent, nous voici parvenus, frères et sœurs, au dimanche dit de « Gaudete » ( Réjouissez-vous ! ), et dont le titre est emprunté à la lettre aux Philippiens : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie.» (Ph 4,4). Nous avons écouté la même invitation dans notre deuxième lecture (1Th 5), et nous pourrions légitimement nous étonner : peut-on vraiment donner l’ordre à quelqu’un de se réjouir ? Au milieu des épreuves, des doutes et difficultés de cette vie, cet ordre n’est-il pas déplacé ?
Bien des
prédicateurs par le passé ont ressenti cette difficulté. Quel nouveau
commandement ! Peuton commander de se
réjouir ? La joie naît spontanément et ne peut être, ni commandée, ni
forcée. Quand on possède le bien qu’on désire, la joie coule de source et
parfois avec abondance ; mais quand ce bien désiré nous manque, on a beau dire
« réjouissez-vous » et nous réitéré
mille fois ce commandement, la joie ne vient pas.
Ce temps de
l’Avent est donc une bonne occasion de redécouvrir le véritable sens de la joie
chrétienne. De manière significative, la langue latine distingue le « gaudium », un contentement légitime et
durable, de la « laetitia », un mouvement d’humeur superficiel ; la
même différence sépare la paix profonde, celle de l’âme qui jouit de son
Seigneur, de la joie passagère que nous offre le monde et ses vanités. Comme l’océan, l’âme peut être agitée en
surface, et n’avoir aucune laetitia,
mais trouver dans les profondeurs de sa vie spirituelle le gaudium qu’engendre la présence de Jésus. Cette paix intérieure
de la conscience, rien, absolument rien, ne peut nous l’ôter : l’unique
véritable préoccupation de notre vie devrait donc être de ne pas perdre notre
union avec lui.
C’est pourquoi
l’invitation de saint Paul, dans la deuxième lecture (soyez toujours dans la joie) est reliée à son exhortation finale à
la sainteté (que Dieu vous garde sans
reproche). Le Seigneur, par sa présence bienfaisante, infuse dans l’âme une
sérénité profonde ; il se penche sur ses
plaies pour les guérir, et lui donne la fécondité spirituelle, qui est la
vraie source de « réalisation personnelle ». Ne l’avons-nous pas déjà
expérimenté lors d’une communion eucharistique ? La joie est alors un signe tangible
de l’œuvre de sanctification que Dieu réalise dans l’âme.
Le pape Benoît XVI l’exprimait ainsi :
« La vraie joie n’est pas le fruit du divertissement, entendu dans le
sens étymologique du terme divertere,
c’est-à-dire sortir des engagements de sa vie et de ses responsabilités. La vraie joie est liée à quelque chose de
plus profond. Certes, dans les rythmes quotidiens, souvent frénétiques, il
est important de trouver des espaces de temps pour le repos, la détente, mais la vraie joie est liée à la relation avec
Dieu. Qui a rencontré le Christ dans sa vie, éprouve dans son cœur une sérénité et une joie que personne
ni aucune situation ne saurait faire disparaître. […] La vraie joie n’est pas
un simple état d’âme passager, ni quelque chose que l’on atteint de ses propres
forces, mais elle est un don, elle naît de la rencontre avec la personne vivante de Jésus, de la place que nous
lui accordons en nous, de l’accueil que nous réservons à l’Esprit Saint qui guide notre vie. C’est
l’invitation de l’apôtre Paul, qui dit : « Que
le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et qu'il garde
parfaits et sans reproche votre esprit, votre âme et votre corps, pour la venue
de notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Th 5, 23)
Bien sûr, frères et sœurs, nous avons parfois de vraies raisons de ne pas être joyeux : deuil, souffrance, maladie, inquiétudes pour nos proches, etc. Saint Paul, en osant nous prescrire d’être « toujours joyeux », nous indique comment vivre ces moments-là : avec foi et confiance.
La présence du Seigneur qui s’est fait homme, qui vient chaque jour dans nos cœurs nous assurer de son amour, qui ne nous abandonne jamais et reviendra à la fin des temps, produit dans l’âme croyante un fond de paix teinté de joie que nul ne peut lui ravir. Dans les moments d’épreuve, nous laissons-nous saisir par cette vérité ?
Permettez-moi
de vous citer une mystique anglaise du XIVe siècle, la bienheureuse
Julienne de Norwich, qui à travers ses épreuves redécouvrait ce Roc qu’est le
Christ. Je la cite :
« Je vis
avec une absolue certitude… », nous dit-elle, « que Dieu, avant de nous
créer, nous a aimés, d’un amour qui n’est jamais venu à manquer, et qui ne
disparaîtra jamais. Et dans cet amour, il a accompli toutes ses œuvres et,
dans cet amour, il a fait en sorte que toutes les choses soient utiles pour
nous, et dans cet amour notre vie dure pour toujours... Dans cet amour, nous
avons notre principe, et tout cela nous le verrons en Dieu sans fin.»
Reconnaissons
par ailleurs, frères et sœurs, que nous nous attristons souvent sans vraie
raison : déconvenues, retards, contrariétés matérielles ou professionnelles.
Tant d’événements secondaires qui ne devraient pas avoir le pouvoir d’attrister
notre âme. Essayons donc, pendant cet octave préparatoire à Noël, de voir ce qui nous réjouit ou nous
attriste. Nous nous savons aimés et sauvés par le Christ : les contrariétés
du monde présent doivent retourner à leur vrai place.
Alors comme exemple de joie parfaite en présence de Jésus, l’Écriture nous montre la figure de Jean-Baptiste ; celui-ci nous est présenté comme précurseur et témoin. A ce titre, Jean-Baptiste est une source d’inspiration pour la vocation sacerdotale. Comme lui, tout notre ministère – et toute notre existence – est centré sur Jésus. Nous sommes la voix qui, par la prédication et l’accompagnement des fidèles, invitons à « préparer les chemins du Seigneur ». Nous rappelons et montrons à nos frères et à nos sœurs sa présence en ce monde : « au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas…». Bien souvent, nous devons nous effacer, pour ne pas centrer l’attention des fidèles sur notre personne, et pour les renvoyer inlassablement à Jésus : « Je ne suis pas le Messie… ni Élie… ce n’est pas moi le prophète… C’est LUI qui vient derrière moi !» (Jn 1).
Pour notre Pape François, Jean-Baptiste nous montre la voie d’un véritable anéantissement, voici ce qu’il dit à propos de Jean-Baptiste :
«S’anéantir. Quand nous contemplons la vie de
cet homme si grand, si puissant, tous croyaient qu’il s’agissait du Messie,
quand nous voyons comment cette vie s’anéantit jusqu’à l’obscurité d’une
prison, nous contemplons un mystère. (…) Nous ne savons pas comment se sont
passés [ses derniers jours]. Nous savons seulement qu’il a été tué et que sa
tête a fini sur un plateau comme le grand cadeau d’une danseuse à un adultère.
Je crois qu’on ne peut pas aller plus bas que cela, s’anéantir plus. »
En même temps, la joie du prêtre est immense et sa place privilégiée, lorsqu’il assiste aux épousailles entre Jésus et son Peuple, se retirant humblement devant la grandeur du mystère, dont il a pourtant été l’instrument. Il rejoint, encore une fois, Jean-Baptiste qui nous dit : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. Il faut que lui grandisse, et que moi je décroisse.» (Jn 3,29-30).
Alors, frères
et sœurs, durant ce temps de l’Avent, la liturgie nous présente deux exemples
de véritables joies : celle de Marie et
celle de Jean-Baptiste. En contemplant leur vie, il y a certainement un
aspect ou l’autre de leur vie qui frappe plus notre imagination, et que nous
pouvons essayer d’imiter cette semaine.
AMEN.