Frères et sœurs, la parabole des « ouvriers de la 11e heure » est célèbre et aussi propre à l’évangéliste Matthieu que nous lisons cette année. Arrêtons-nous ce matin sur cette magnifique parabole qui nous révèle un peu à nous-même mais qui nous rappelle surtout l’immense générosité de Dieu pour chacun de nous.
Bien évidemment, on comprend assez facilement que ces ouvriers
de la 1ère heure sont bien sûr, le
peuple de la 1e alliance avec cette
idée de contrat : Il se mit
d’accord. « Je serai votre Dieu, vous serez mon peuple », c’est un contrat réciproque : « vous
ferez ce que je vous dirai et moi je vous protégerai ». Et donc, il se mit d’accord pour 1 denier pour la journée… et il les
envoya à sa vigne. Il faut remarquer ici que pour
parler de salut on aborde la notion de salaire.
L’idée est qu’il y a un certain salaire qui sera donné à la fin et donc, voilà,
Israël est appelé à un certain travail,
à une tâche difficile qui est de réaliser la justice en ce monde, de
transmettre le salut au monde, il est normal qu’il y ait un salaire et
toutes les choses vont tourner autour de cette notion de salaire.
Ensuite, il va y avoir les ouvriers suivants, ceux de la 3e
heure, ils sont désœuvrés et le maître leur dit : « Allez, vous aussi à ma vigne et
je vous donnerai ce qui sera juste ».
Remarquer, qu’il les embauche, qu’il y a bien un engagement mais cette fois-ci ce n’est plus un
contrat : « Je vous donnerai ce qui est
juste ». Là, les ouvriers, il faut qu’il se fie au Maître. Il doit y avoir une confiance dans ce que
le maître va donner à la fin. Il y a donc un acte de confiance qui est
demandé et puis on aura la même chose avec ceux de la 6e heure et
ceux de la 9e heure et enfin ceux de la 11e heure à qui
le maître reproche leur inactivité : « Comment
se fait-il que vous soyez encore là à cette heure-ci !? » leur dit-il en
gros. Pourquoi ce reproche est précisé maintenant aux ouvriers de la 11e
heure ?
Sans cette phrase, nous pourrions penser que les ouvriers
de la 11e heure sont de vrais flémards, que ceux sont des lève-tard,
qu’ils arrivent tardivement et donc ils ont loupé les passages du régisseur de
la vigne. On comprend bien que la raison pour laquelle ils sont toujours là, à
la 11e heure c’est que personne
ne les a embauchés. Cela est très important à voir, car s’ils sont encore
là, ce n’est pas par paresse, mais
c’est qu’ils n’ont pas encore été embauchés. Ce sera important pour la suite de
la parabole.
Du coup, le maître les embauches et les invite à
travailler, eux aussi à sa vigne… Et remarquer l’évolution subtile du maître. À eux, il ne leur promet rien. Ils ont
à faire encore plus confiance dans le Maître car ils ne savent pas ce qu’ils
vont recevoir, ils ne savent pas s’ils vont recevoir quelque chose de juste, ils sont dans la confiance aveugle…
Et, quand vient le soir, c’est le moment
de payer les salaires. On comprend bien la situation et à ce moment-là le
Seigneur de la vigne va dire à son intendant : « Appelle
les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir
par les premiers ». Il y a donc bien une intention du maître de
la vigne de faire cela dans l’ordre inverse.
Alors
pourquoi veut-il faire cela dans cet ordre ?
Le seul intérêt d’inverser ici les choses, c’est pour que
ceux qui ont été présents depuis le matin puissent voir ce qu’on va donner aux
autres… qu’ils assistent à la remise du salaire.
Si cela c’était passé dans l’autre sens, ils auraient reçu
chacun leur denier, ils seraient partis et ils n’auraient rien vu. Donc, le maître de la vigne veut que l’on
voie ce qu’il a à donner à tous. Il veut montrer qu’aux derniers, il va
faire une grâce particulière ou plutôt qu’il va faire grâce et il veut que les
autres voient qu’il fait grâce.
Pourquoi, veut-il s’arranger comme
cela ? Parce que c’est clair qu’il va
les rendre jaloux !
Il veut faire cela,
tout d’abord et probablement pour manifester qu’il est un Dieu de grâce. Dieu veut montrer au monde qu’il fait grâce mais il veut aussi dévoiler le péché secret des
premiers qui ont l’œil mauvais face à la grâce du Maître. Il le dit d’ailleurs
: « Ton œil est-il mauvais parce que moi
je suis bon ».
Cela va permettre de révéler, le secret des
premiers, le fait qu’ils ont un cœur
mauvais et cela va révéler au moins trois choses négatives :
D’abord, qu’ils sont à cheval sur leur droit, deuxièmement la convoitise, ils
ont vu que les autres ont reçu la même chose et ils se sont dit en eux-mêmes
qu’en multipliant le nombre d’heure de travail, ils allaient recevoir 12 fois
plus que les derniers mais en plus de cette convoitise, il va y avoir un
troisième lieu de faute et c’est
cela le plus grave qui est l’orgueil.
Ce
qu’il reproche au maître, ce n’est pas tant qu’il n’y ait pas une sorte de
justice entre les salaires et que le salaire ne soit pas proportionnel au temps
travaillé mais ce qui les blesse c’est que le maître les ait traité à égalité avec les autres. Voilà, ce qui est
reproché : « ces derniers venus n’ont œuvré qu’une heure et tu les traites à l’égal
de nous ». Ça c’est l’orgueil !!! C’est l’orgueil qui se rebiffe, nous méritons mieux, nous
sommes plus qu’eux…
C’est ici que le maître rappelle qu’il n’a pas fait
d’injustice, tu t’es mis d’accord avec moi et donc d’un point de vue légal «
tout va bien » mais n’as-tu pas compris que moi je veux donner à ce dernier
venu autant qu’à toi. Là où il y a ton
orgueil qui croit que tu es supérieur à lui parce que tu as été là le premier,
moi je veux donner autant qu’à toi. Et ce que Dieu veut révéler en dernier, c’est
qu’il est bon. « Ton regard est-il mauvais parce que moi je suis bon ?
» De quel œil regardons-nous Dieu ? Avons-nous un regard mauvais sous prétexte que
Dieu est bon ?
Nous avons dans cette parabole une
parabole extrêmement performante car elle nous révèle un peu à nous même. Car
il faut bien reconnaître et on entend souvent les gens dire : « Bon d’accord,
le Bon Dieu ne veut pas faire de différence entre les hommes, il veut donner
aux derniers autant qu’aux premiers, d’accord mais quand même, quelque part au
fond de nous-même, il reste l’idée que c’est quand même un peu injuste cette
histoire…
Si nous sommes dans cette disposition de cœur, c’est donc
que nous sommes comme les ouvriers de la 1e heure, c’est-à-dire que
nous sommes encore : 1e dans la convoitise, 2e dans l’orgueil et
3e dans le droit.
C’est-à-dire que nous avons toujours quelque chose au fond
de nous-mêmes qui nous dit que finalement : « Le salut, le salaire… je le
mérite quelque part… Je le mérite, et moi qui suis un ouvrier de la 1e
heure qui vais à la messe tous les dimanches depuis que je suis tout petit, qui
me confesse régulièrement et que je fais tout ce que l’Église me demande,
voilà, moi qui suis là depuis la 1e heure, qui est véritablement
peiné depuis le début et c’est quand même pas normal que celui qui va se
convertir sur son lit de mort est la même chose que moi, lui qui a séché toutes
les messes dominicales, etc…, voyez, je m’amuse en disant cela mais, voyez que
du coup, je suis en train d’acheter mon
salut par ma conduite spirituelle correcte…
Donc
quelque part, j’ai un peu droit au salut que Dieu m’a promis… en tous les cas,
j’ai un droit que je convoite un peu et je convoite aussi que les autres ne
devraient pas avoir les mêmes droits que moi…
J’espère que j’aurai plus qu’eux et
derrière cela il y a la question de l’orgueil qui se cache…
Enfin, ce qui va être très subtil dans cette parabole,
c’est la parole du maître au régisseur quand il va lui dire de distribuer les
salaires, il ne lui dit pas : « Distribue
à chacun son salaire », il lui dit « Distribue
le salaire à chacun ». C’est très important de voir cela car cela veut
simplement dire que le maître n’a qu’un
seul salaire à donner, il ne peut pas en donner d’autre, il ne peut pas en
donner un plus petit ou un plus grand, il n’en a qu’un et on comprend bien si
l’on fait la transposition que le seul salaire, c’est Dieu seul en personne ! Et cela ne se découpe pas ! La
communion avec Dieu ne sera qu’un seul et unique salaire : Dieu lui-même.
On a ici, un message
très important sur le salut. Le Salut, il est entier, Dieu ne découpe pas le salut. Il n’en donne pas un plus petit
morceau à ceux qui ont moins peiné et un plus gros à ceux qui ont le plus
peiné. Dieu ne fait pas d’injustice !
Allons encore un peu plus loin car on
n’a pas fini de découvrir les richesses de cette parabole… Voyez-vous dans la jalousie des premiers : «
Nous qui avons travaillé toute la journée et eux, ils n’ont travaillé qu’une
petite heure ». Est-ce que c’est
vraiment cela, est-ce que c’est vraiment juste comme remarque ? Si on reprend l’ensemble de la
parabole pour voir comment cela s’est passé, on s’aperçoit que certes,
eux-mêmes, comme ils le disent, ils ont porté le poids du jour et de la chaleur
mais ce que l’on oublie, c’est que les
ouvriers de la 11e heure, ont eux aussi souffert de la chaleur
et qu’ils ont non seulement souffert de la chaleur mais ils ont porté en plus l’angoisse de ne
pas avoir de salaire. Ils ont porté l’incertitude dans laquelle ils ont
été une grande partie de la journée. C’est
là que l’on comprend que les ouvriers de la 1e heure, ils ont dès le
début de leur vie la perspective du salut, autrement apaisante, que celui qui
dans le monde païen n’arrive pas à donner un sens à sa vie et n’a pas cette
perspective du salut qui est ô combien plus angoissante dans le rapport à la
vie.
Les ouvriers de la 1e heure n’ont
pas compris aussi que le salaire d’un
denier était au départ disproportionné au travail qu’ils allaient réaliser pour
le Maître. C’est beaucoup plus que le salaire d’une journée. Le Maître
désirait montrer à tous ces ouvriers que tout leur salaire avait été finalement
une grâce. Le salaire d’un denier
était immérité par tous ! C’est cela que
le maître veut montrer et ce qui serait dangereux serait de prendre la grâce du salut comme un droit.
Frères et sœurs, cette
parabole nous fait une révélation absolument essentielle : le salut que Dieu nous donne est totalement gratuit et disproportionné
à nos pauvres mérites humains. Que pourrions-nous espérer, si nous
comptions sur nos seules forces ? Mais,
Seigneur, Tu nous dis de tout attendre de Ta bonté et nous t’en remercions. Amen.