Chers frères et sœurs,
Nous fêtons aujourd’hui un trop grand mystère. Trop lumineux pour notre intelligence. Trop riche pour pouvoir être compris. Marie, unie à son Fils depuis le premier instant de l’Incarnation, le rejoint, corps et âme dans le ciel. Le mystère de l’Ascension de Jésus se renouvelle dans l’humanité glorifiée de Marie. Pour aujourd’hui, je vous propose de nous limiter à la méditation d’un aspect de ce mystère : celui du passage. Les plus vieux textes qui parlent de l’Assomption de Marie, qui remontent au 2e siècle, sont appelés transitus mariae « passage de Marie ». Marie passe de la terre au ciel. Elle traverse, corps et âme, le firmament. Et elle vit cette transition avec toute la force de sa volonté. Comme au jour de l’Annonciation, Dieu attend de Marie un consentement à son dessein bienveillant. Marie ne monte pas au ciel sans avoir dit « oui ». On peut donc se demander pour quelle raison Marie à accepter de vivre ce « déplacement ». Pourquoi Marie dit « oui » à la proposition que Dieu lui fait de rejoindre son Fils dans la gloire du ciel ? Il me semble que l’on peut exclure le désir d’une gloire personnelle ! Ce n’est pas parce que Marie sera reine du ciel, maîtresse de tout l’univers, qu’elle accepte de vivre ce passage. C’est plutôt, me semble-t-il, parce qu’elle comprend qu’en traversant la limite du firmament, elle pourra mieux aimer Dieu et mieux aimer ses enfants. Pour bien le comprendre, et pour s’y préparer, Marie pouvait méditer les Saintes Écritures et les nombreux exemples de femmes qui, comme elle, ont eu à vivre un passage semblable. Pour aujourd’hui, arrêtons-nous à quatre types : le passage de Myriam, celui d’Esther, celui de Judith et, enfin, celui de Rebecca, Rachel et Ruth.
Le passage de la mer Rouge : Myriam
Myriam, la sœur de Moïse, qui porte le même nom que Marie (Myriam en hébreu) vit elle aussi un passage. Non pas celui de la frontière qui sépare la terre du ciel, mais celui de la mer Rouge qui sépare l’Égypte, pays d’esclavage et d’alinéation, du désert où Israël pourra rendre un culte à Dieu. Après avoir traversée la mer Rouge, Myriam chante avec son frère, elle danse aux sons des tambourins avec ses compagnes. Elle chante la gloire de Yhwh qui a jeté dans la mer Pharaon et son armée, symbole de la puissance de mort qui les opprime.
Il y a quelque chose de cela dans le passage que doit vivre Marie. Elle entre au ciel pour glorifier Dieu avec toutes les puissances de son être. Non seulement son âme glorifiée, mais aussi son corps. Marie consent à entrer dans le ciel pour offrir à Dieu une louange « complète ». Sainte Thérèse d’Avila a eu la vision de la louange de Marie lorsqu’elle est entrée dans le ciel. Nous pourrions nous aussi demander la grâce de comprendre quelque peu cette plénitude de bonheur que Marie vit, cette louange totale qu’elle offre à Dieu. Elle le glorifie d’avoir triomphée en elle, et dans son Fils, et dans chacun de ses enfants qui ressusciteront, eux aussi, au dernier jour, de la puissance de la mort.
Le passage jusqu’à la chambre du Roi : Esther
Esther aussi vit quelque chose de semblable. Elle est reine. Son peuple, Israël, est promis à la mort à cause d’un décret exterminateur qu’Aman a fait signer au roi Assuérus. Esther doit consentir à prendre le risque de « passer » la limite de la chambre du roi afin d’intercéder pour son peuple Israël et de lui obtenir la vie. Audace qui pourrait lui valoir la sentence de mort si le Roi ne lui fait pas grâce.
Marie, comme nouvelle Esther, se rapproche de son Fils, le Roi de gloire. Si elle veut entrer dans sa proximité, si elle prend le risque d’entrer dans un espace nouveau, celui du ciel de la gloire, ce n’est pas pour s’évader. C’est pour pouvoir mieux intercéder. Comme Jésus qui, selon saint Paul, intercède pour nous à chaque instant depuis le ciel, ainsi Marie se reproche corporellement de son Fils glorifié afin d’être au plus près de la source de la grâce pour les ouvrir à profusion pour nous. C’est bien ce que nous lui demandons, d’ailleurs, lorsque nous récitons un Ave : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous… À chaque fois que nous lui formulons cette demande, Marie prie effectivement pour nous auprès de son Fils. Elle accueille notre prière, la purifie et la présente à celui qui pourra l’exaucer avec toute la plénitude de son amour.
Le passage de Judith jusqu’en territoire ennemie
Judith est une autre fille d’Israël qui doit vivre un passage. Alors que sa ville, Béthulie, est encerclée par les armées d’Holopherne, elle prend la décision de traverser deux postes de gardes, celui d’Israël et celui des armées assyriennes, afin de se présenter devant Holopherne et de l’exterminer. Parce que Judith prend le risque de « passer », elle remporte la victoire sur l’ennemie d’Israël.
Marie aussi, comme guerrière des armées du Seigneur, entre au ciel pour continuer le combat dont nous a parlé l’Apocalypse. Elle entre au ciel pour mener la lutte contre le serpent avec une plus grande puissance encore. Elle entre au ciel pour le terrasser, pour l’enchaîner, pour faire taire cette voix qui, à chaque instant, entraîne ses enfants sur le chemin de la mort éternelle. Elle entre au ciel pour arracher aux griffes du mauvais ses enfants qu’il ne cesse de vouloir dévorer. Marie est la guerrière par excellence, l’impératrice des armées célestes. De là-haut, elle mène une lutte acharnée contre la Bête, les faux prophètes en tout genre et les structures de péché qui enténèbrent le monde. Et sa victoire, déjà réalisée, n’a plus qu’à se manifester en plénitude dans l’univers. À la fin, rappelle-t-elle à Fatima, mon cœur immaculé triomphera.
Le passage de Rebecca, Rachel et Ruth en terre d’Israël
Enfin, et c’est peut-être le point le plus important, Marie marche sur les pas des matriarches. Rebecca, Rachel et Ruth consentent à passer la frontière qui les sépare d’Israël et deviennent mères sur la terre de la promesse. Marie, quant à elle, passe la frontière du Ciel pour exercer sa maternité sur chacun des enfants que Jésus lui a confiés avec une plus grande tendresse. Une image me vient pour l’expliquer. Jean-Paul II, durant une grande messe en Amérique du sud, disait à tous les fidèles présents : « j’aimerais pouvoir vous saluer tous personnellement ». Mais il ne le pouvait, bien sûr, en raison des limites de l’espace et du temps. Son corps ne pouvait être qu’à un seul lieu à la fois. Lorsque Marie entre au ciel, son corps glorifié transcende les limites de l’espace. Elle peut se rendre réellement, maternellement, corporellement, auprès de chacun d’entre nous. La petite Thérèse aussi. Mais elle ne le fait que par son âme glorifiée. Marie, elle, se rend présente à nous par son corps glorifié. Son désir d’être véritablement là, comme une mère pleine d’amour, pour chacun de ses enfants est alors pleinement satisfaits. Par la foi, nous pouvons toucher Dieu-Trinité, Jésus en son corps glorifié. Nous pouvons aussi « toucher » spirituellement le corps glorifié de Marie. Nous pouvons lui prendre la main. Elle tendait la main à Jean de la Croix, enfant, alors qu’il s’enfonçait dans une mare de boue. Elle nous tend la main aussi, cette main réelle, glorifiée, corporelle. Nous pouvons la saisir par un acte de foi. Nous avons besoin de sa présence corporelle à nos côtés. Comme un enfant à besoin de sa mère.
Résumons : comme Myriam, Marie entre au ciel pour glorifier Dieu avec toutes les puissances de son être, corps et âme ; comme Esther, elle se présente au plus proche du roi de gloire pour intercéder pour chacun de ses enfants ; comme Judith, elle traverse la frontière du firmament pour être cette guerrière de la fin des temps remportant la victoire eschatologique sur le Serpent ; elle entre enfin dans la patrie nouvelle du ciel pour devenir mère, comme Rebecca, Rachel et Ruth, afin de se rendre corporellement présent à chacun de ses enfants qui l’invoquent. Prenons donc Marie chez nous, comme saint Jean l’a fait en premier. Accueillons-la, dans le mystère de l’Eucharistie, parce que lorsque Jésus se donnera à nous, Marie, elle aussi, sera là.