Martyres de notre Ordre, fêtées le 17 juillet
Les 16 Carmélites du monastère de l'Incarnation de la ville de Compiègne, sous les terribles événements de la Révolution française, furent expulsées de leur monastère, puis arrêtées et emprisonnées le 24 juin 1794. Durant leur détention, elles ne cessèrent de communiquer leur joie et leur acceptation de la volonté divine aux autres prisonniers, les encourageant à puiser leur force dans l'amour de Dieu. Condamnées à mort pour leur fidélité inébranlable à l'Église et à leur consécration religieuse, pour leur dévotion aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, elles montèrent courageusement à l'échafaud après avoir renouvelé leur profession religieuse, en chantant des hymnes liturgiques. C'est ainsi quelles moururent guillotinées à Paris, le 17 juillet 1794.
La liturgie pascale: 17 juillet 1794
Vers six heures, les carmélites, vêtues de blancs (leurs manteaux de choeur ou un autre vêtement?) quittent la cour du mai pour se rendre vers la Barrière de Vincennes, lieu de leur supplice. Montées dans ces charrettes sordides qui conduisent les condamnés à mort, les moniales chantent le Miserere (psaume 50), le Salve Regina. C'est l'heure des Complies, et le Te Deum. Un prêtre, Monsieur Douai, les bénit au passage.
Cette solennité tragique et dépouillée ne peut qu'impressionner la populace attirée habituellement par le sang d'une vengeance mal déterminée. En regardant ces soeurs innocentes et déclarées coupables, les parisiens devaient se souvenir des jours récents où ils se rendaient en masse dans les couvents et les monastères pour y trouver l'aide spirituelle dont ils avaient besoin, se rappeler aussi d'un parent, d'une soeur, d'un frère entrés dans des congrégations aujourd'hui hors la loi.
Parvenues au pied de la guillotine dont le sommet lugubre se perd dans la nuit tombante, la mère Thérèse de Saint-Augustin demande la faveur de mourir la dernière pour soutenir ses filles dans leur dernier combat. Elle entonne alors le Veni creator Spiritus que les soeurs reprennent «à haute et intelligible voix», puis «elles prononcent toutes ensemble la formule de leurs voeux de religion». Nouvelle profession qui les introduit dans la «terre promise de l'union d'amour» chantée par Jean de la Croix.
Alors, la prieure se place au pied de l'échafaud avec dans sa main une petite statuette de la Vierge à l'enfant. Sœur Constance (Meunier), la plus jeune, est appelée la première. Elle se met à genoux devant sa prieure, demande la permission «d'aller à la mort», puis embrasse la statuette. Gravissant les marches «joyeuse comme si elle allait à la fête», elle entonne le psaume Laudate Dominum omnes gentes que les carmélites chantent habituellement lors de la fondation d'un nouveau monastère. L'une après l'autre toutes firent de même. Thérèse de Saint-Augustin (Lidoine) monte la dernière à l'échafaud. La communauté après avoir souffert les douleurs de l'enfantement, s'ouvre à la vie.
Tout se fait dans le calme. Pas un bruit, pas une vocifération de haine, pas d'applaudissement au son métallique et sec du couperet rougeoyant. Tout est accompli. La consécration de la communauté marquée par le renouvellement des vœux au son du Veni creator a pris un sens sacrificiel et couronne la récitation quotidienne de l'acte d'offrande pour «apaiser la colère de Dieu». C'est une communauté renouvelée par le sang du crucifié, confirmée en grâce, qui entre au chant du Laudate Dominum, dans l'assemblée des élus et mêle sa voix au cantique de l'Agneau.
La nuit tombée, on jette les corps dénudés dans une des fosses communes de Picpus, à l'extrémité du jardin de l'ancien couvent des augustins, puis on les arrose de chaux vive pour précipiter leur décomposition. De nos jours, l'ancienne fosse commune est devenue un petit cimetière paisible où se dresse une croix de fer. Dix jours plus tard la Terreur prenait fin.
Est-ce là le seul fruit du sacrifice des carmélites de Compiègne? Certainement pas. Victimes et témoins de la violence aveugle et purement gratuite d'hommes pris par une spirale destructrice qu'ils ne contrôlent plus et qui les dépasse, les moniales martyres sont des signes de l'espérance chrétienne. C'est elle qui donne un sens surnaturel au sacrifice sanglant en s'originant dans la mort de celui qui a donné sa vie pour sauver le monde de la haine et lui conférer la paix. Comme des milliers de témoins avant et après elles, les carmélites de Compiègne ne cessent de proclamer que rien dans la vie de l'homme n'est vain ni inutile lorsqu'il s'agit de préserver la paix et la liberté, simplement parce que «l'amour sera toujours vainqueur».
(Extraits du livre "L'Amour sera toujours vainqueur", Les carmélites martyres de Compiègne, Pensées et témoignages, textes choisis et présentés par Stéphane-Marie Morgain, o.c.d., Éditions du Carmel, p. 24-26)
Cantique composé à la Conciergerie le 15 juillet 1794 par sœur Julie Louise de Jésus. Sur l'air de la Marseillaise.
Vierge sainte, notre modèle,
Auguste Reine des martyrs
Daignez seconder notre zèle
En purifiant nos désirs (bis)
Protégez encore la France,
Assistez-nous du haut des cieux,
Faites ressentir en ces lieux
Les effets de votre puissance.
Soutenez vos enfants,
Soumis, obéissants,
Mourons, mourons avec Jésus
Et notre Roi croyant.
Voyez ô divine Marie
De vos enfants le saint transport,
Si de Dieu nous tenons la vie
Pour lui nous acceptons la mort (bis)
Montrez-vous notre tendre Mère,
Présentez-nous à Jésus-Christ;
Et qu'animés de son esprit
Nous puissions en quittant la terre:
Au céleste séjour
Du feu du saint amour
Chanter, chanter avec les saints
Ses bontés pour toujours.
(Ibid. p. 80-81)